
Des denticules cutanées du requin aux combinaisons denticulées de l'Homme
C'est alors que des combinaisons s'inspirant de ce revêtement "miraculeux" que possèdent les requins n'ont tardé à voir le jour et ont été annoncées par les ingénieurs en natation et par les concepteurs des nouvelles combinaisons des professionnels comme LA combinaison qui nous fera passer un cap de performance et nous permettra de battre des records de vitesse jusque lors inaccessibles. Elle a donc été créée dans l'esprit d'améliorer les compétences de l'homme jusqu'à effleurer, ne serait-ce que de manière infime, celles du requin. Cependant, reproduire l'un des bijoux d'évolution les plus avancés et les plus millimétrés du règne animal n'est pas une mince affaire et a confronté les créateurs de ces maillots haute gamme d'une technicité épatante à de nombreux défis et entrave technique à la conception et à la fabrication de ces derniers.
Premièrement, les études portées sur les denticules ont démontré que leur flexibilité était indispensable à leurs qualités générales d'hydrodynamisme. C'est effectivement leur composition qui est la clé de voute de leur apport de pénétration du fluide. Ainsi étant principalement constituée de fibres collagènes, les denticules répondent aux exigences de flexibilité tout en satisfaisant les obligations de solidité que requièrent le corps d'un requin ou d'un nageur lors des forces conséquentes qu'exercent leurs mouvements dans l'eau. Cependant, reproduire à notre tour ces propriétés d'élasticité et les appliquer aux combinaisons a été un véritable travail de recherche et d'essai de la part des ingénieurs. Il s'agissait néanmoins du début du processus de création et de l'étape la plus importante afin de pouvoir prétendre exploiter les effets physiques des denticules et en tirer profit de manière optimal. Pourtant, les reproductions 3D, via une imprimante 3D, de ces denticules ont révélés l'extrême complexité de reproduire efficacement et à échelle industrielle leur indispensable flexibilité ainsi que leur parfaite disposition et leur proportions minuscule exigeant de ce fait une précision surpassant de loin nos techniques de fabrication ou d'impression 3D. Toutefois, les chercheurs sont au final parvenus à la conclusion que le polyuréthane était le matériau le plus adapté à procurer à la combinaison une flexibilité s'approchant au maximum de celle des denticules cutanées du requin.
Le polyuréthane est une matière dont on peut très facilement contrôler la texture et la dureté lors de sa fabrication. Cette matière obtenue par polymérisation possède des qualités élastomères et s'approche de ce fait énormément des propriétés de la protéine de collagène. Nous pouvons de plus ajouter que le polyuréthane est un polymère de l'uréthane or il est utile de préciser que certaines des polymères les plus connues sont les fibres protéiques, dont fait partie le collagène notamment, ce qui appuie donc le choix de ce textile flexible en raison de sa ressemblance toute particulière avec les fibres cutanées composant la peau du requin. Et afin de donner à la combinaison la capacité d'amoindrir les forces de frictions s'appliquant sur le nageur, les fabricants ont appliqué sur cette dernière un revêtement hydrophobe dans le but de fluidifier l'écoulement de l'eau lorsqu'elle entre en contact avec le nageur ce qui est, là aussi, inspiré des qualité du réseau hypodermique du requin à repousser l'eau et par conséquence réduire la surface de frottement entre le fluide et le corps.
Dans un deuxième, temps les ingénieurs se sont attelés à ce que la combinaison donne aux corps du nageur une position optimale à son avancement et à son hydrodynamisme, et, là encore, l'étude du corps du requin a été primordiale. De ce fait, c'est en analysant sa silhouette profilée et son squelette fuselé que les chercheurs ont pu discerner efficacement les différentes parties du corps sur lesquelles devait agir le maillot afin qu'il permette au sportif d'offrir un minimum de surface de contact et d'opposition au fluide. La combinaison compresse certaines zones de la silhouette du nageur (en particulier la poitrine, l'abdomen et le fessier) et lui permet de pénétrer dans l'eau avec plus de puissance et d'agilité qu'il pourrait le faire dans des conditions normales, ce à quoi vient s'ajouter le fait que la combinaison agit comme un corset qui supporte le corps et le maintient dans une position horizontale. Enfin, dans un souci de limiter au maximum les obstacles à l'écoulement du fluide, la combinaison ne possède aucune couture à fils et n'offre donc aucune aspérité (du moins des aspérités minimes) au déplacement laminaire du fluide. Elle voit donc ces différents tronçons assemblé à l'aide de soudure ultrasons (technique d'assemblage pour des matériaux thermo-fusibles) permettant alors une continuité parfaite entre les différents morceaux.
Finalement, la combinaison s'inspire bien évidemment de la structure denticulée de la peau du requin. Cependant, reproduire leur flexibilité et leur solidité et reprendre leur disposition précise, leur petite taille et leur forme particulière s'avère être un défi de taille auquel les ingénieurs n'ont pu répondre que partiellement. Nos techniques de fabrication n'ont, en effet, pas la précision requise pour reproduire parfaitement ces denticules cutanées. Or, des impressions 3D approximatives ont donné des résultats relativement convainquant et ont suffi à transcender nos capacité innées afin de porter nos performances à un niveau toujours plus élevé.
A terme, dès que les études et les tests sur les denticules (qu'ils aient été fructueux ou non), ainsi que les recherches sur une éventuelle reproductibilité de leurs effets et de leurs caractéristiques par l'homme, ont pris fin, la planification industrielle par les fabricants n'a pas tardé à voir le jour. De ce fait, une attention toute particulière a été portée aux conditions de production et à l'efficacité de la chaîne de fabrication de ces combinaisons afin de conserver une haute qualité de reproduction des "denticules" de ces maillots dans le but de profiter au maximum de leurs apports hydrodynamiques tout en recherchant de nouvelles techniques d'impression encore plus évoluées et précises ce qui est, en outre, en parfait accord avec l'état d'esprit de la biomimétique de: "ne jamais se satisfaire de ce que l'on a ou de ce qu'on a créé mais toujours chercher à tout améliorer et à tout parfaire comme l'a déjà fait la Nature". De cette manière, c'est en 2004 que l'entreprise Speedo conçoit, en élaboration avec la NASA, la toute première combinaison inspirée de la peau du requin et de sa capacité à limiter la résistance du corps dans l'eau et base l'intégralité de sa communication sur le fait que cette combinaison nouvelle génération est la première "tenue de natation biomimétique" et l'annonce comme la prochaine grande innovation dans le domaine naval. Pourtant, cette combinaison, annoncée comme révolutionnaire, déchaînera les passions et sera de nombreuses fois remise en question sur ces véritables qualités par les sceptiques. Cependant, elle prouvera le bien fondé des espoirs mis en elle. En effet ,c'est aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008 que l'on verra les premiers nageurs utiliser la version finale de ce maillot de natation (nommé LZR Racer) notamment par les athlètes de la délégation américaine. Lors de cette même compétition de multiples records majeurs tomberont, battus par de grands champions portant cette combinaison; le meilleur exemple étant très certainement celui de Michael Phelps. Il remportera ainsi 8 médailles au terme de l'évènement, dont 6 d'or ce qui est un exploit phénoménal, jusque-là inimaginable. Pour appuyer son efficacité un argument indéniable tirait parti du fait que sur les 18 records battus en grand bassin en 2008, 17 l'ont été par des nageurs portant la LZR. C'est pourquoi dès 2009, la combinaison sera interdite de toute compétition officielle n'étant plus considéré homologuée et désigné par certain comme d'un "dopage technologique" remettant en cause l'essence de ce sport qui est la performance physique avant tout.
Pour autant, avant sa radiation des compétitions, certains réfutaient tout de même les capacités de la LZR Racer et remettaient en cause sa ressemblance et sa réelle inspiration des denticules du requin. C'est le cas de spécialistes en mécaniques des fluides tels que George Lauder qui affirmait que la souplesse de la combinaison n'était pas suffisante pour octroyer aux nageurs les mêmes impacts que les denticules exercent sur les squales, ou encore d'ancien professionnels comme Sophie Huber qui disait lors d'une interview: "le matériel n'a jamais garantit de médaille. Ça peut en aider certains, notamment sur le gainage, mais cela reste infime".
Des études, menées à Harvard entre autre, ont toutefois porté les chercheurs à la conclusion
que cette combinaison denticulée permettait approximativement une diminution de la traînée de friction de 24% par rapport à des conditions normales de nage et une efficacité de reprise d'oxygène accrue de 5% (dû au gainage naturel que favorise la combinaison). Ce qui résulte donc en une amélioration de la vitesse du nageur d'en moyenne 6,6% et d'une réduction de la dépense d'énergie d'environ 5,9%. Ce qui est directement lié à la plus grande facilité pour le nageur de reprendre de l'oxygène, il peut de cette manière parcourir de plus longue distance à un rythme élevé.
Informations supplémentaires :
Le milieu naval en général ne s'est pas privé de cette découverte et ne s'est pas fait attendre pour l'appliquer à leur domaine spécifique. Ainsi, les bateaux les plus récents voient l'effet Riblet être appliqué à leur coque. C'est aussi ce qu'on tenté de faire les ingénieurs d'Airbus tout particulièrement. Cependant, la dureté de leur squelette externe ainsi que l'ajout de poids conséquent que représentait la création d'une surface rainurée rendait l'application du modèle des denticules sur les avions non viables et très coûteux pour des résultats peu convainquants et des bénéfices négligeables.

